Monday, June 04, 2007

pourquoi, oui pourquoi?

Je ne sais pas pourquoi, je me sens tourmentée depuis hier… ça a commencé juste après ma sieste. Je regardais les infos chez les parents, et comme quand j’étais petite, je me suis endormie sur le canapé, et mam est venue me couvrir. Mais elle n’a pas baissé le volume de la télé : nahr el bared, et sa pléthore d’images indéfinies de fumées blanches commentées par des experts pessimistes et glaçants, constitue un parfait fond sonore de sieste.
Je me suis réveillée devant le même spectacle, évidemment.
J’ai alors pris mes affaires et suis rentrée chez moi, pensant que ça suffirait.
A peine le soir, et déjà les rues sont vides. Ce mot, que je n’arrive décidemment pas à remplacer par un synonyme, est aussi vide que ce qu’il dit, je pense que c’est le mot que j’emploie le plus en ce moment, avec silence, et leur usage répété, leur indipensabilité omniprésente, me sont la preuve que rien d’autre ne peut décrire ce qui se passe en ce moment à Beyrouth. C’est juste un grand silence qui enveloppe la ville, en suce tous les sons, et la laisse pleine d’échos immobiles.
En voiture, je me distrais comme je peux: « au début » des attentats, juste après une explosion j’appelais tous mes amis, même ceux dont je savais la position gps. Maintenant, je n’appelle que ceux qui sont dans un périmètre très immédiat. La moralité de cet apprenti paradigme ne me consolant pas des masses, j’arrête de refreiner mon envie quasi réflexe de regarder sous chaque voiture, de tous les cotés de la route, en passant. Je cherche le sac suspect, la valise déplacée, le paquet patibulaire.
Je passe par un barrage, puis un autre. Un tas de voitures sont rangées sur le coté, conducteur, coffre et capot scrupuleusement sondés.
Dans ma rue aussi il y a l’armée, une patrouille de jeunes soldats fatigués, équipés de briquets lampes de poche pour regarder dans les voitures garées.

J’essaie de dissoudre tous ces sentiments gluants dans une douche. Je m’oblige à ne pas amortir le bruit de l’eau pour mieux entendre des sirènes hélas pas imaginaires. Je me force à prendre tout mon temps, sans penser à mes vitres qui ne sont pas securit, et sous lesquelles je me tiens très exactement dans la tenue idéale pour un attentat surprise…

Je ressors. Cette fois ci il fait nuit, une amie passe me chercher, on va à l’anniversaire d’une boite (2 ans…) en t shirts blancs obligatoires. Je vois des gens que je voyais avant tous les week ends, en fait j’en vois la moitié, le reste est au mieux à la maison, au pire à dubai. On danse avec fatalisme, à chaque track un peu de crispation tombe, à chaque verre d’un alcool décidément dégueulasse les angoisses vacillent. Et puis on rentre, dans les mêmes paysages silencieux traversés de voitures super pressées, soulagées d’avoir eu la force de dédaigner la peur, de lui dire va te faire foutre.
Je m’endors en sachant qu’elle reviendra demain.

Wednesday, May 30, 2007

Beyrouth mai 2007

Aucune ville n’est plus sure que la mienne, me dis je en déjeunant seule dans une galerie marchande aux accès condamnés, et désertique ça va de soi. Le portique métallique de détection d’armes, collé a la seule sortie encore ouverte sur une ville démangée par un vent chargé de poussière grise, bippe des que quelqu’un passe dessous. Un monsieur en uniforme ouvre les sacs des dames et doucement les soupèse comme s’il manipulait déjà une bombe, avec circonspection il accomplit sa mission de protection… et si l’un de ces monsieur de la sécurité était de mèche avec la qaeda de damas ou d’ailleurs, me demandé-je en picorant dans ma salade grecque ?
Dalida et Whitney ne crient pas assez haut, dans les hauts parleurs de ce mall exsangue, pour assourdir les sirènes de police sporadiques.
Je déjeune seule, dehors le vent soulève les jupes et courbe les arbres, et la police passe.
Des soldats approchent, poussant devant eux un jeune garçon, ils le tiennent par le col de son polo, tout ce monde s’explique dans mon cadre, puis disparaît derrière un poteau.
A l’entrée du parking souterrain de l’immeuble, les voitures attendent sagement la fouille, moteur et coffre ouverts.
J’ai une petite pensée pour les voleurs, de voiture, a la tire et autres, au chômage technique depuis dix jours.
A 14 heures, les rumeurs commencent à circuler.
A 16 heures, les rumeurs se dissipent, ou se confirment.
A 18 heures, la ville se vide, les voitures roulent le plus vite qu’elles peuvent, un couvre feu tacite pousse les rats à se terrer.
A 19 heures, des files se forment aux barrages, et l’armée se montre intransigeante, allant jusqu'à fouiller les voitures conduites par des filles.
A 20 heures, les infos et les fenêtres ouvertes rompent l’aphasie ambiante jusqu'à 21 heures.
A 22 heures, la ville s’éteint. Quelques mobylettes de delivery circulent encore, ont-ils des gilets pare balle ? Des assurances attentats ? En tous cas, ils ont les papiers de leurs véhicules…
A partir de 23 heures, n’importe quelle voiture qui roule à moins de 100 dans les petites rues prend des airs suspects.
A minuit, les immeubles sont verrouillés.
Un dernier tour de télés : des reporters en casque et gilet pare balle de la marque PRESS commentent avec force détails le carre noir strié d’orange et jaune qu’ils appellent zone de combats.
Je rentre me coucher l’esprit tranquille : dans ma rue, le snack ouvert jusqu'à minuit, le baby foot en face ouvert jusqu'à deux heures, et tous les petits vieux du quartier ouvrant leur balcons dès 4 heures me protègent…
Beyrouth est la ville la plus sure du monde.

Monday, February 26, 2007

mission accomplie?




Hier, pendant que dehors la ville grésillait, ces deux petites lampes ont commencé à avoir une existence bien à elles, et je me suis sentie bêtement émue comme une maman à une remise de diplômes.

Dehors, après la pluie, mon écharpe rouge et blanche de indépendance 05 vire au gris, et se balance lourde et molle devant un panneau i love…. (el samak le poisson – el hayett la vie - el carpets les tapis – el nyeke la baise….) 07.
Dans la perspective qui les sépare, ces deux ans deux panneaux, une église une mosquée treize grues et une voie d’accès à la ville qui me sert de baromètre circulationnel les jours d’événements.
Et mes lampes, qui vont demain changer de maison.



Thursday, February 22, 2007

Silence

Je ne sais pas ce que j’ai, ça fait quelques jours que je n’ai pas envie de parler.
C’est peut être du à cet affreux rhume qui me colle depuis dimanche. Au téléphone c’est tellement impressionnant que j’en abuse un peu pour que les choses aillent plus vite…. ceci dit, les petits vertiges migraineux qui m’assaillent depuis ce matin ne sont pas si simulés… peut être aussi c’est la faute à ce tournage catastrophe de mardi, on a tout eu, pas de visa, plus de camera, des accidents avant pendant et après, ça m’apprendra aussi à ne jamais être trop précise….
Peut être aussi que la découverte de colis presque piégés au petit déjeuner – et le fait que l’information toute pleine d’inexactitude soit répétée partout et lestée à chaque énonciation d’encore une approximation de plus - cette espèce de mastication de la rumeur, d’élongation étiratoire repue y est pour quelque chose.
Peut être aussi les travaux de démolition d’une très jolie maison des années 30, en face de mon bureau, me minent t ils un peu le moral – en plus d’achever de ruiner mon ouie, déjà agressée klaxoniquement tous les après midis par les chauffeurs de camions qui ne voient pas à temps l’étroitesse de notre rue et sont persuadés qu’en forçant ils passeront…

Je ne vais pas remonter jusqu'à la semaine passée – attentat matinal sordide + commémoration & drapeaux + orage à la violence sonore toute israélienne – pour expliquer ma fatigue, parce que je ne veux pas me souvenir du nombre de fois ou j’ai dit : on est un peu en suspens la – on attend de voir – mieux vaut ne rien prévoir demain - non ne viens pas ce n’est pas prudent de traverser la ville… fais attention à tes roues - allah ma3 dawalibak (que dieu soit avec tes roues : se dit quand quelqu’un se prépare à faire un long trajet en voiture) a-t-il jamais eu un autre sens ?
En fait je sais ce qui me chiffonne par dessus tout : ce matin, on devait me livrer des étagères, cadeau de mes 30 ans, à 9h00. A peu près l’heure à laquelle une caisse en bois contenant du matériel explosif (on notera le vague de la description) a été trouvée, manque de chance, apparemment sur le trajet dudit livreur. Le van a été immobilisé – fouillé par la police ou l’armée, et je n’ai pas eu mes étagères. Encore une fois, ce qui se passe dans le pays bouleverse ma minuscule existence et je trouve que c’est plus qu’assez.

Tuesday, February 06, 2007

apres la pluie?

L’autre soir, avec mon petit frère, on s’est demandé à quoi tenait notre patriotisme. Qu’est ce qu’on aime vraiment au Liban qu’on ne pourrait trouver ailleurs? Les beaux paysages, les falaises qui plongent dans la mer ? Trop tard. Tout ce qui reste c’est des montagnes crevassées de carrières, lacérées d’asphalte, purulentes de ciment, leur seul lien à la mer c’est les égouts.
Oui mais Beyrouth. Parlons en: entre deux grues et un parking, il reste certes quelques arcades, reconstituées à l’identique en béton armé, et des voitures des voitures des voitures et pas assez de place pour elles…
Les quelques coins encore un peu sauvages du pays sont plus que menacés par une urbanisation encore plus sauvage qu’eux, ou tellement enrichis d’uranium appauvri qu’il vaudrait mieux en faire don à des labos de recherche atomique… à un moment on a aimé la liberté, la folie téméraire, l’absence de limites de ce pays en définition, l’exagération et la vitesse de notre vie ici. Entre le Babylone et la fac on allait à la découverte de chaque impasse de la ville, en plus à ce moment la les routes n’arrêtaient pas de changer, le centre ville était un monstrueux mille feuilles en chantier, on « faisait des tours en voiture » partout et encore plus loin… la gourmande agitation de ces jours la me manque.

Quelques jours plus tard, alors que j’essaie d’organiser quelque chose de « chouette » pour mes 30 ans, je m’aperçois que mes choix tiennent compte des ponts détruits, et des embouteillages afférents, que je n’ai pas envie d’infliger à mes amis. Etouffement. D’ailleurs ai-je bien envie de faire la fête ?


Les orages d’hier et d’aujourd’hui glacent le ciel et le vent, inondent mon appartement - éparpillement de serpillières - et font bien rentrer dans le sol toutes ces poussières qui croupissaient, hésitantes, dans l’atmosphère grise des derniers jours. Curieusement, c’est le moment où la ville est la plus jolie, masquée par la densité de la pluie, délavée et cotonneuse, elle se laisse emmitoufler par les torrents d’eau et les coups de tonnerre métalliques et flamboyants.

Monday, January 29, 2007

Il faut reconnaître à la ville de Beyrouth une équipe de nettoyage hors pair.

Vendredi, je fais un petit tour du coté de la cité sportive. A l’entrée du tunnel Salim Slem, je remarque ce nouveau marquage au sol – les traces de pneus brûlés – perceptible même par les mal voyants, tellement c’est en relief sur le goudron de la chaussée.
Je sors du tunnel à l’heure où les pigeons rentrent à la maison, à tire d’ailes ils déchirent le ciel mauve et rose, je m’attends à voir de la fumée et de la suie, je note aussi que la grippe aviaire n’a jamais affecté l’affection des libanais pour ces volatiles, et au lieu d’une apocalyptique scène de post guérilla urbaine, je ne vois que quelques voitures calcinées – sur plus de 100 mètres quand même – et des trottoirs arrachés (ah voila d’où viennent les pierres ?) et quand même un peu de tanks. Des militaires des forces spéciales, tout en noir, achèvent de donner à cette balade son ancrage spatio temporel.

Beyrouth, hiver 2007, de nouvelles règles de conduite sont données par les parents à leurs enfants : ne boucle pas ta ceinture de sécurité ma chérie, tu risques d’avoir besoin de sortir très vite de ta voiture. Et puis lis bien les panneaux : attention chute de pierres au beau milieu d’une place vide, ça veut bien dire ce que ça veut dire.

Thursday, January 25, 2007

couvrez moi ce feu

et envoyez tout le monde au lit. et n'oubliez pas d'eteindre les feus de pneus en sortant...

comme a chaque soubresaut situationnel, je me retrouve rapatriee fissa chez les parents.
on dine devant les infos, cuilleres intimidees par la fureur des images, suspendues a l'appetit coupe, encore une fois on est bouche bee devant ce qui se passe dans un pays auquel on appartient avec notre sang, mais pour lequel on ne compte pas encore le donner.
l'impuissance infinie dans laquelle je suis, est ce que ceux qui brulent et caillassent pensent qu'ils la transcendent?

c'est mon premier couvre feu, et en effet c'est efficace, pas un bruit dehors, a part les tanks qui se mettent en place, et en effet c'est le premier depuis 1973, et en effet l'heure est grave, puisque revoila sultan sleiman, le journaliste de la lbc dont les poemes en gilet pare balles ont rythme notre guerre de l'ete... et aussi les sms de l'ambassade de france. ah la la mais sur quelle sorte de faille sismique sommes nous?

jusqu'a ces quelques jours, je trouvais le liban plus telegenique que l'iraq, moins uniformement gris, noir et jaune, mais je revise ce jugement hautement hatif: ou que se trouvent le palmier et le ciel bleu, si devant eux brule quelque chose, alors il fera une nuit brumeuse dans une image grise et peu profonde.
une voiture sur le cote qui flambe devant des lanceurs de pierre qui courent, ca donne la meme image partout dans le moyen orient. l'armee canardee par des snipers, une universite en sang, des chars des tanks, des barrages improvises impossibles a affilier, ah non ca c'est une specialite locale, quoique en algerie il me semble... on pourrait presque utiliser des bandes d'archives pour montrer ce qui s'est passe tout a l'heure...
des combats de rue. voila comment prudemment une chaine francaise voit ca. ailleurs c'est affrontements et fusillade. ici c'est nuit noire. decidement le silence de beyrouth n'est jamais de bon augure.