Wednesday, May 30, 2007

Beyrouth mai 2007

Aucune ville n’est plus sure que la mienne, me dis je en déjeunant seule dans une galerie marchande aux accès condamnés, et désertique ça va de soi. Le portique métallique de détection d’armes, collé a la seule sortie encore ouverte sur une ville démangée par un vent chargé de poussière grise, bippe des que quelqu’un passe dessous. Un monsieur en uniforme ouvre les sacs des dames et doucement les soupèse comme s’il manipulait déjà une bombe, avec circonspection il accomplit sa mission de protection… et si l’un de ces monsieur de la sécurité était de mèche avec la qaeda de damas ou d’ailleurs, me demandé-je en picorant dans ma salade grecque ?
Dalida et Whitney ne crient pas assez haut, dans les hauts parleurs de ce mall exsangue, pour assourdir les sirènes de police sporadiques.
Je déjeune seule, dehors le vent soulève les jupes et courbe les arbres, et la police passe.
Des soldats approchent, poussant devant eux un jeune garçon, ils le tiennent par le col de son polo, tout ce monde s’explique dans mon cadre, puis disparaît derrière un poteau.
A l’entrée du parking souterrain de l’immeuble, les voitures attendent sagement la fouille, moteur et coffre ouverts.
J’ai une petite pensée pour les voleurs, de voiture, a la tire et autres, au chômage technique depuis dix jours.
A 14 heures, les rumeurs commencent à circuler.
A 16 heures, les rumeurs se dissipent, ou se confirment.
A 18 heures, la ville se vide, les voitures roulent le plus vite qu’elles peuvent, un couvre feu tacite pousse les rats à se terrer.
A 19 heures, des files se forment aux barrages, et l’armée se montre intransigeante, allant jusqu'à fouiller les voitures conduites par des filles.
A 20 heures, les infos et les fenêtres ouvertes rompent l’aphasie ambiante jusqu'à 21 heures.
A 22 heures, la ville s’éteint. Quelques mobylettes de delivery circulent encore, ont-ils des gilets pare balle ? Des assurances attentats ? En tous cas, ils ont les papiers de leurs véhicules…
A partir de 23 heures, n’importe quelle voiture qui roule à moins de 100 dans les petites rues prend des airs suspects.
A minuit, les immeubles sont verrouillés.
Un dernier tour de télés : des reporters en casque et gilet pare balle de la marque PRESS commentent avec force détails le carre noir strié d’orange et jaune qu’ils appellent zone de combats.
Je rentre me coucher l’esprit tranquille : dans ma rue, le snack ouvert jusqu'à minuit, le baby foot en face ouvert jusqu'à deux heures, et tous les petits vieux du quartier ouvrant leur balcons dès 4 heures me protègent…
Beyrouth est la ville la plus sure du monde.